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Les « jumeaux numériques » au service de la planification

ProClim Flash 73

Pour lutter contre les îlots de chaleur dans les villes, les chercheurs développent de nouveaux outils de planification urbaine en recourant au big data et à la modélisation de stratégies. Entretien avec Lea Ruefenacht et Gerhard Schmitt de « Cooling Singapore ».

Le front de mer à Singapour : à l'aide de modèles de ville numériques, les urbanistes peuvent simuler diverses stratégies d'atténuation de la chaleur. (ProClim Flash 73)
Image : Lea Rüfenacht

Modération : This Rutishauser

Qu'est-ce qu'un jumeau climatique urbain numérique ?

Lea Ruefenacht (LR) : Un jumeau numérique est une réplique virtuelle d'un objet du monde réel. Dans notre cas, nous nous servons d’un modèle tridimensionnel pour simuler par exemple l'infrastructure de la ville de Singapour. Un jumeau climatique urbain numérique permet en outre de reproduirele climat d'une ville. La plateforme « Digital Urban Climate Twin », que nous développons actuellement, utilise, dans un contexte multidisciplinaire, des données provenant de modèles climatiques ainsi que de réseaux de capteurs, d’ensembles de constructions et de systèmes de transport. Notre objectif est de représenter en haute résolution le climat urbain dans toute sa complexité et les émissions de chaleur dues aux activités humaines, en nous fondant sans compromis sur des connaissances scientifiques solides. Le jumeau numérique relie plusieurs modèles de caractéristiques calculables d'une ville et permet de simuler des scénarios pour des bâtiments individuels, des quartiers et même une ville entière. Nous pouvons ainsi montrer l'impact de nouvelles technologies sur le climat local, la qualité de l'air et la santé.

Gerhard Schmitt (GS) : Au Singapore-ETH Centre (antenne de l’EPF de Zurich à Singapour), cette plateforme intervient dans le cadre du projet « Cooling Singapore », mené en collaboration avec les autorités locales. Grâce à ces modèles, les urbanistes simulent différentes stratégies de réduction de la chaleur4et des scénarios pour l’avenir. Ils peuvent tester des scénarios visant à limiter le réchauffement urbain et en évaluer ensuite les résultats.

LR : Des aspects relevant des sciences sociales sont pris en compte en complément de cette approche technologique. Ils mettent en évidence les causes et les effets de la détérioration du climat urbain, ce qui devrait encourager les citoyennes et citoyens à participer à l'amélioration de leur environnement.

À quoi pourraient ressembler des scénarios possibles pour l’avenir ?

GS : Pour répondre à cette question, l'équipe de recherche a commencé une série de simulations. Nous ne disposons encore que de résultats intermédiaires, mais ils sont très intéressants. La densification spatiale, les matériaux de construction, des mesures d’amélioration telles que la création d’avenues ou la végétalisation des façades et des toits, sont autant d’aspects considérés dans les scénarios pris en compte. Ceux-ci incluent également le recours à de nouvelles techniques de refroidissement des bâtiments et de transport (par exemple les systèmes d'énergie à distance, les véhicules électriques et autonomes).

LR : Un exemple est la conversion systématique de la mobilité basée sur les moteurs à combustion vers la traction électrique alimentée par des batteries. Dans un premier temps, Singapour remplace, dans tout le pays, des milliers de véhicules diesel par des taxis hybrides. Un autre exemple est la combinaison de simulations sur ordinateur avec l'analyse de données et l'intelligence artificielle, pour tester différents concepts d'urbanisme et d'architecture avant de construire réellement de nouveaux quartiers, voire des villes entières. C'est extrêmement important pour éviter des erreurs coûteuses.

Quelle est l'importance du jumelage numérique en tant qu'outil de planification ?

LR : Dans un avenir proche, l'atténuation de la chaleur pourrait devenir le principal critère de développement de nouvelles zones urbaines. Les principaux défis sont le traitement de grandes quantités de données, le coût élevé des ressources informatiques ainsi que la complexité des réseaux de capteurs et des modèles de simulation. Le jumelage numérique pourrait réduire considérablement ces entraves dans le processus de planification. Par exemple, de nombreuses étapes de travail sont encore effectuées manuellement aujourd'hui, ce qui demande beaucoup de temps pour la numérisation et l'automatisation. Des modèles complexes et des données provenant de différentes disciplines doivent être interconnectés. Le jumelage numérique est une étape importante vers un développement urbain plus respectueux du climat. Il concourt à l’amélioration de la qualité de vie et au bien-être de la population. La plateforme permet également aux urbanistes de modéliser des directives visant à réduire la surchauffe urbaine4 ; elles concernent, par exemple, l'orientation des bâtiments et des rues, la hauteur des édifices et la largeur des rues, les matériaux de surface ou la couverture végétale. Un élément important est également la porosité urbaine, qui décrit la relation entre la densité et la perméabilité d’une ville.

Comment la population peut-elle s'impliquer ?

GS : La population joue un rôle crucial dans la réduction de la chaleur dans nos villes. Des facteurs tels que le savoir, la prise de conscience, les convictions et les comportements concernant les changements climatiques et la surchauffe urbaine influencent directement ou indirectement toutes les décisions prises par les urbanistes. Des enquêtes nous donnent un aperçu de la volonté de la population de s'engager pour des stratégies et mesures d’amélioration, et pour lesquelles. Nous étudions également les effets de la hausse des températures sur les performances cognitives des populations vulnérables ou à risque, telles que les personnes âgées, les enfants et les ouvriers du bâtiment.

LR : Les processus participatifs fournissent des connaissances socio-économiques qui enrichissent la base de données du jumeau numérique et peuvent être combinées avec des facteurs écologiques. Cela permet d'obtenir une image plus globale qui nous indique où, comment et dans quelle mesure les différents comportements, stratégies et scénarios influencent le climat urbain. En outre, les processus participatifs contribuent à l’information et à la sensibilisation de la population.

Le jumelage numérique du climat urbain suscite-t-il de l’intérêt aussi ailleurs ?

GS : Ce que nous testons à Singapour pourrait être utilisé dans d'autres villes à l'avenir. L'atténuation de la chaleur est également à l’ordre du jour en Suisse. Par exemple, le canton de Zurich a publié, au début de l’an dernier , un rapport sur l'adaptation au climat6. Depuis plusieurs années, des scientifiques de l’ETH, de l’EPFL et de l’EMPA étudient les effets des îlots de chaleur et le confort thermique dans différentes cités suisses. Avec les résultats obtenus à Singapour, nous aimerions lancer un projet pilote « Cooling Zurich » en collaboration avec l'ETH, la ville et le canton.

LR : Je peux même imaginer une initiative mondiale de lutte contre la surchauffe urbaine. Elle permettrait un échange d'idées et de stratégies pour des villes au climat tropical comme Singapour ou au climat tempéré comme Zurich. Nous avons tous pour objectif de créer pour les gens des espaces de vie de qualité, attrayants et sains.

GS : En Suisse, cela constitue également une possibilité de renforcer la démocratie directe grâce à la participation des citoyennes et citoyens et des scientifiques dans le domaine du développement urbain. Dans ce pays, la politique de transparence, la diffusion d’informations précises et, surtout, les relations constructives entre des formes d’habitats de toutes sortes, en ville et à la campagne, représentent un avantage unique au monde.

Le front de mer à Singapour : à l'aide de modèles de ville numériques, les urbanistes peuvent simuler diverses stratégies d'atténuation de la chaleur. (ProClim Flash 73)
Le front de mer à Singapour : à l'aide de modèles de ville numériques, les urbanistes peuvent simuler diverses stratégies d'atténuation de la chaleur. (ProClim Flash 73)Image : Lea Rüfenacht

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