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«Nous devons mieux comprendre les mécanismes d’action de la nature»

Carte blanche à Urs Niggli, agroecology.science

15.09.2021 – Même intensive, voire biologique, l’agriculture est tributaire de mesures de protection des plantes. Si nous voulons utiliser moins d’agents chimiques à l’avenir, il nous faut d’abord améliorer notre compréhension des agroécosystèmes. Nous devrions également être ouverts à de nouvelles approches, telles que le génie génétique.

Carte Blanche / Urs Niggli
Immagine: Michael Fritschi

L'article exprime l'opinion personnelle de l'auteur et ne reflète pas nécessairement la position de l'Académie suisse des sciences naturelles.

Pour obtenir des rendements élevés et de bonne qualité, les agricultrices et agriculteurs doivent faire appel à des mesures de protection des plantes. Des données de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sont impressionnantes à cet égard : de 1996 à 1998, les organismes nuisibles ont causé au niveau mondial des pertes de récoltes qui se situent, selon le type de culture, entre 26 et 40 %. D’où le recours fréquent à des pesticides chimiques pour protéger les végétaux aussi bien dans les grandes cultures que, plus largement encore, dans les cultures spéciales de fruits, vigne et légumes : bien que celles-ci n’occupent que 6 % des surfaces cultivées, 44 % des substances actives y sont appliquées.

La protection chimique des plantes prédomine dans l’agriculture intensive, alors qu’un mode spécifique de gestion des cultures, le choix de variétés robustes ou résistantes et des mesures mécaniques telles que les filets de protection ou le désherbage à la herse étrille sont les pratiques courantes de prévention des organismes nuisibles dans l’agriculture biologique. Celle-ci utilise en outre des produits phytosanitaires biologiques, c’est-à-dire des substances actives d’origine naturelle, des extraits de plantes ou des organismes vivants tels que des insectes prédateurs ou parasites.

La protection chimique des plantes sous le feu de la critique

Le vif débat qui a accompagné la votation du 13 juin 2021 au sujet des deux initiatives sur les pesticides a montré que la population suisse est en majorité sceptique à l’égard de la protection chimique des plantes. Le Conseil fédéral suit déjà depuis longtemps une politique de réduction du recours aux pesticides. La Commission européenne veut diminuer de moitié la quantité de produits phytosanitaires chimiques utilisés. Et le groupe scientifique accompagnant le Sommet mondial de l’alimentation, qui aura lieu en automne 2021, conseille d’utiliser moins de pesticides et d’engrais chimiques et de privilégier une protection des récoltes fondée sur la prévention et orientée nature.

La protection chimique des plantes a 135 ans. En 1885, le botaniste Pierre-André Milliardet a décrit l’effet de la « bouillie bordelaise » – une préparation à base de chaux et de sulfate de cuivre – contre le mildiou de la vigne. Par la suite, quelque 500 agents chimiques différents s’y sont ajoutés et ont de nouveau disparu. L’utilisation de ces pesticides a facilité le travail agricole et diminué le prix de denrées alimentaires.

Le succès de la protection chimique des plantes a été remis en question pour la première fois en 1962 par Rachel Carson dans son livre The Silent Spring (Le printemps silencieux). Depuis lors, la critique contre les pesticides chimiques n’a cessé de s’amplifier, car à part leurs effets souhaitables, ces substances ont aussi des impacts indésirables : elles n’ont pas seulement une incidence sur des organismes spécifiques dans le sol et les eaux, mais portent atteinte à des populations entières et même à des services écosystémiques, tels que la pollinisation des plantes par les insectes. Grâce aux grands progrès réalisés ces dernières années en analyse environnementale, il est possible aujourd’hui de mettre en évidence l’effet de résidus, même infimes, de pesticides chimiques sur des organismes sensibles, présents dans l’eau ou le sol.

En réalité pas tout à fait bio

L’histoire de l’agriculture biologique, qui a commencé il y a 70 ans en opposition à la chimisation de l’agriculture, montre combien il est difficile à l’agriculture de renoncer à la protection chimique des cultures. À cet égard, les partisans des initiatives sur les pesticides ont joué avec des cartes biseautées. Par exemple, l’oxychlorure de cuivre, une substance active produite par synthèse, est encore toujours le premier choix comme fongicide dans l’agriculture biologique. Même après 35 ans de recherche au FiBL (Forschungsinstitut für biologischen Landbau – Institut de recherche pour l’agriculture biologique) et huit grands programmes scientifiques de l’UE, il n’existe toujours pas d’alternatives non chimiques.

Le développement de nouvelles substances actives est lent et difficile

La difficulté de remplacer les pesticides chimiques tient notamment au fait que la production de substances phytosanitaires naturelles nécessite de grandes quantités de matières premières végétales ; or celles-ci ne peuvent être obtenues qu’au prix d’une dépense d’énergie considérable. Les biopesticides existants présentent souvent encore un autre problème : ils combattent aussi bien les ravageurs que les insectes utiles. Et le développement de nouvelles substances actives est une tâche ardue.

Cependant, même si la situation de départ est difficile, il incombe à la science de trouver des solutions. La recherche fondamentale doit améliorer nos connaissances sur les mécanismes d’action de la nature, pour que nous puissions identifier des substances actives permettant de protéger les plantes contre les organismes nuisibles. Ces principes actifs peuvent également provenir de la nature elle-même. Dans certain cas, il est même possible de reproduire artificiellement de telles substances naturelles en laboratoire, ce qui réduit fortement leurs coûts de production.

En outre, la recherche appliquée doit de toute urgence nous aider à mieux comprendre les agroécosystèmes. Par exemple, il est connu que les champs sont exempts de mauvaises herbes après des cultures mixtes de céréales et de légumineuses, ce qui réduit fortement la pression des adventices dans la rotation des cultures. Mais il faut également, en dépit des préjugés, être ouvert à l’utilisation de nouvelles méthodes de génie génétique dans le domaine de la sélection végétale, comme alternative à la protection chimique des plantes.

Agronome et président d’agroecology.science, Urs Niggli est l’ancien directeur de l’Institut de recherche pour l’agriculture biologique (Forschungsinstitut für biologischen Landbau, FiBL), fonction qu’il a assumée pendant de nombreuses années jusqu’en mars 2020.

Auteurs: Prof. Dr Dr Urs Niggli

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