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L'organisation faîtière des anthropologues en Suisse représente les intérêts de la discipline vis-à-vis du public et des autorités. Ses membres sont principalement des experts à vocation scientifique.

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«Pour un accès – véritablement – démocratique aux résultats de la science»

Carte blanche pour Stéphanie Girardclos et Jérôme Kasparian, Université de Genève

Le libre accès aux publications scientifiques (Open Access) vise à rendre accessible à tous les résultats de la recherche scientifique et à réduire les coûts des abonnements. Mais le modèle actuellement mis en place par les grands éditeurs renforce en réalité leur hégémonie. Pour reprendre le contrôle de ses publications, la communauté scientifique devrait définir sa propre politique éditoriale et la tarification, et y limiter le rôle des éditeurs commerciaux à la mise en œuvre technique.

Stéphanie Girardclos et Jérôme Kasparian
Image : zvg

Cet article reflète l’opinion de ses auteurs et ne correspond pas nécessairement à la position de la SCNAT.

L’accès le plus large aux résultats de la recherche publique est consubstantiel aux valeurs d’ouverture et d’universalité qui sous-tendent la science. Cet objectif s’est structuré autour du mouvement «Science ouverte» (Open Science). L’aspect le plus emblématique en est l’Open Access, qui cherche à remédier au contrôle exercé par quelques grands éditeurs internationaux sur les revues scientifiques et leurs coûts prohibitifs. De nombreuses initiatives ont ainsi émergé durant les trois dernières décennies, depuis la création de serveurs d’articles en cours d’impression (preprints) ou de journaux spécialisés bénévoles, jusqu’au Plan S de Science Europe, qui demande le libre accès à la recherche européenne publique.

Néanmoins, l’Open Access tel qu’il se déploie actuellement sur le marché de la publication scientifique estparadoxalement contre-productif pour les institutions publiques. En effet, les forfaits «read and publish», qui incluent la lecture et la publication d’articles en accès libre pour un ensemble important de revues, s’avèrentencore plus coûteux que l’ancien système par abonnement de lecture. De plus, ces forfaits ne peuvent être négociés qu’avec un nombre limité d’éditeurs, laissant sur la touche la myriade de petits éditeurs qui assurent la diversité du paysage éditorial scientifique. Finalement, le modèle d’Open Access, tel qu’implémenté par les grands éditeurs, renforce leur hégémonie commerciale au lieu de libérer l’accès à la science.

L’Open Access augmente paradoxalement le coût des publications au lieu de le réduire

Par ailleurs, à l’exact inverse de l’esprit de l’Open Access, les grands éditeurs s’approprient les droits d’auteur via une pirouette juridique (Blog sOApbox). Concrètement, les équipes de recherche doivent dorénavant payer la publication de leurs résultats et exercer leur droit d’auteur aux conditions du contrat global, sans possibilité de négociation. Comme le système d’évaluation des carrières et des équipes de recherche reste le plus souvent basé sur la publication dans des revues prestigieuses, les scientifiques sont prêts à renoncer à leur droit d’auteur et à dépenser sur leurs budgets de recherche les coûts de publication d’un article en accès libre, qui peuvent parfois atteindre 10'000 CHF! La possibilité de publier et de transmettre le savoir à la société est ainsi conditionnée à un pouvoir économique, ce qui heurte de front les principes démocratiques et égalitaires de l’Open Science.

Plus fondamentalement, le modèle d’Open Access mis en place par les grands acteurs de l’édition suscite également des craintes sur sa durabilité. L’hébergement «pour l’éternité» des articles a un coût récurrent, qui n’est viable pour une entreprise commerciale que si le nombre d’articles publiés, et donc facturés, croît suffisamment pour couvrir l’entretien de toutes les publications passées. Ce modèle économique est donc basé sur une croissance infinie, ou plus prosaïquement, sur une pyramide de Ponzi.

La communauté scientifique doit reprendre le contrôle

Pour réduire sa dépendance économique vis-à-vis des grands éditeurs et sécuriser la disponibilité à long terme des articles déjà publiés, la communauté scientifique doit reprendre le contrôle du bien public que constitue l’information scientifique qu’elle produit. En Suisse, nous proposons que les institutions telles que le Fonds national suisse (FNS), les Académies et les hautes écoles (universités, EPF et HES) forment des consortia en association avec les sociétés savantes pour prendre la responsabilité des revues et décider de leur politique de publication, en termes de qualité, de droit d’auteur et de politique tarifaire. Les principes ainsi posés, la mise en œuvre technique de ces publications selon les normes et exigences actuelles pourra être déléguée aux éditeurs commerciaux sur la base d’appels d’offre. Cette approche permettrait de libérer rapidement la communauté scientifique de la captation financière et légale des connaissances produites avec des fonds publics, tout en lui permettant de bénéficier des compétences techniques des grands éditeurs.

Un accès réellement ouvert à la publication scientifique, tant du côté de la lecture que de la publication, constitue un défi essentiel que la communauté scientifique doit impérativement relever. C’est à cette condition qu’elle pourra simultanément maintenir l’ouverture et l’exigence de qualité et de confiance dans la science.


Stéphanie Girardclos est maître d’enseignement et de recherches à l’Université de Genève et a participé à la création du serveur de préprints EarthArXiv; Jérôme Kasparian est professeur à l’Université de Genève. Tous deux ont été membres du groupe de travail à l’origine de la fiche d’information «Open Science in Switzerland: Opportunities and challenges».

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